Kronos : le temps qui dévore
Il dévora ses enfants pour rester roi. Mais il avait déjà perdu. Kronos (ou Cronos), le plus jeune des Titans, avait renversé le Ciel. Il avait tranché la chair du monde pour libérer la Terre. Et pour un temps, il régna. Mais lorsqu’il entendit l’oracle — "Ton propre fils te renversera" — il céda à la panique des dieux : il engloutit Hestia, puis Déméter, Héra, Hadès, Poséidon… comme s’il pouvait étouffer le futur en avalant l’innocence. Il ne sut jamais que Zeus lui survivrait. Que le ventre du monde ne garde rien pour toujours. Que le temps, même figé, finit toujours par saigner. Kronos n’est pas seulement le Titan du pouvoir : il est la peur de l’héritage, le père dévorant, le roi dont le trône repose sur une prophétie. Et sous la faucille, il n’y a pas que le sang. Il y a le silence des enfants qu’on n’a pas laissé naître.
➡️ Disponible sur toutes les plateformes de podcast.
KRONOS

Dans la cosmogonie grecque, la création du monde ne procède pas d’un acte d’amour ou de volonté divine, mais d’une rupture violente, d’une séparation radicale entre le Ciel (Ouranos) et la Terre (Gaïa). L’étreinte continue d’Ouranos et Gaïa empêche toute émergence, toute différenciation : leurs enfants, symboles des forces primordiales, sont refoulés dans les entrailles de leur mère, incapables d’exister pleinement. Gaïa, dans un geste de révolte créatrice, forge une faucille et incite ses enfants à agir. Seul Cronos, animé non par la force mais par une froide détermination, accepte d’accomplir l’acte irréversible : il mutile son père, séparant le haut du bas, le ciel de la terre. Ce geste fondateur instaure la possibilité d’un monde autonome, d’un espace où la vie peut se déployer. Le sang d’Ouranos féconde la terre, donnant naissance à des êtres nouveaux, tandis que la semence, mêlée à l’écume, engendre Aphrodite : la beauté naît de la blessure, la création de la violence. Ce mythe ne célèbre pas la toute-puissance, mais la nécessité de la rupture pour permettre l’avènement du monde.