Âges mythologiques grecs

La mythologie grecque n’a pas seulement livré des dieux, des monstres et des héros. Elle a aussi légué une vision cyclique et déclinante de l’histoire humaine, scandée en cinq âges successifs. Cette théorie, que l’on doit à Hésiode, dans sa Théogonie puis surtout dans les Travaux et les Jours, raconte la manière dont l’humanité, d’abord divine et harmonieuse, a peu à peu sombré dans la violence, l’injustice et l’oubli du sacré. Ce récit est moins une chronologie qu’une allégorie morale et cosmologique : chaque âge dit quelque chose de la condition humaine, du rapport entre les hommes et les dieux, entre la nature et la culture, entre le passé idéalisé et le présent corrompu.

Pour lire l'extrait de texte, celui-ci a été ajouté à la bibliothèque. Vous pouvez cliquer sur le lien à votre droite ! 

L'âge d'or

Le premier âge, tel que le décrit Hésiode dans Les Travaux et les Jours, est celui de l’harmonie primordiale : l’Âge d’or (chrýseon génos), révolu, mais fondateur. Sous le règne de Cronosdieu du temps cyclique et non encore destructeurles hommes vivaient en une communion parfaite avec la nature et les puissances cosmiques. Aucun travail ne leur était imposé : la terre offrait spontanément ses fruits, les saisons n’étaient pas hostiles, et les créatures humaines, semblables à des demi-dieux, ignoraient la vieillesse, la souffrance, et même la mort prématurée. La paix n'était pas une conquête mais une condition naturelle ; l’équilibre n’était pas un idéal mais un état de fait.

Le mythe de l’Âge d’or constitue la mémoire d’un monde non encore brisé, un monde avant la chute. Il s’apparente, dans sa structure symbolique, à l'Eden du récit biblique, au Satya Yuga de la cosmologie hindoue, ou encore à l’Âge de Jade dans certaines traditions chinoises : autant de figures de l’innocence perdue, du paradis en exil, d’une humanité en état de transparence avec le sacré. Le passage de Cronos à Zeus, souvent interprété comme un progrès de l’ordre sur le chaos, peut aussi être lu comme une rupture violente, une cassure dans le tissu de l’univers. Le règne de Zeus inaugure le règne de la loi, mais aussi celui de la séparation, du travail, de la souffrance. En ce sens, l’Âge d’or est moins un passé qu’un mythe du possible : une origine qui obsède parce qu’elle fonde le désir d’un retour, fût-il impossible.

Dans la vision hésiodique, après la disparition des hommes de l’Âge d’or, ces derniers ne sombrent pas dans le néant. Bien au contraire : ils accèdent à une forme d’existence supérieure et subtile. Hésiode affirme dans Les Travaux et les Jours (vers 122–126) que ces hommes devinrent des daimones (δαίμονες), c’est-à-dire des esprits invisibles parcourant la terre, bienveillants et vigilants, doués d’un pouvoir de voir et de guider les humains.

Le mot daimon, ici, ne doit pas être confondu avec son sens plus tardif et chrétien de « démon » malfaisant. Il désigne originellement une puissance intermédiaire, un souffle divin, une conscience désincarnée, ni tout à fait dieu ni tout à fait homme, occupant une position médiane dans la hiérarchie cosmique.

Ces daimones peuvent être interprétés comme les ancêtres spirituels de l’humanité, ou encore comme des tuteurs invisibles, assurant la continuité de la sagesse cosmique. Platon, dans Le Banquet attribue à Diotime une conception du daimon comme intermédiaire entre les dieux et les hommes, capable de transmettre les messages, les inspirations, les révélations — bref, de jouer le rôle de messager spirituel. C’est exactement le rôle des anges dans les traditions abrahamiques : médiateurs célestes, protecteurs, porteurs de la volonté divine.

Par ailleurs, l’idée que des êtres humains justes accèdent à un statut supérieur après leur mort rappelle les conceptions romaines du genius (génie tutélaire) ou du lar familiaris (esprit protecteur du foyer). Chez les Latins, chaque personne avait un genius propre — comme une parcelle de divinité intérieure ou un guide invisible. Cette idée a d’ailleurs survécu dans le christianisme médiéval sous forme d’anges gardiens, nous l'avons dit, de saints patrons, ou de figures allégoriques personnifiant les vertus.

Le rôle des daimones hésiodiques recoupe également celui des esprits ancestraux dans les traditions chamaniques et animistes. Dans ces cultures, les morts illustres deviennent des esprits tutélaires capables d’intervenir dans le monde des vivants, de guérir, d’inspirer ou de protéger. Les daimones de l’Âge d’or seraient ainsi les incarnations mythiques du souvenir du divin en l’homme, les témoins silencieux d’une époque où l’humain n’était pas encore coupé du sacré.

Plutarque, dans son traité Sur le retard de la justice divine (De sera numinis vindicta), développe une théologie où les daimones sont des juges et protecteurs invisibles, présents dans les interstices du monde, régulant le destin et assistant les âmes. Il reprend ainsi une pensée très ancienne : celle selon laquelle le monde n’est pas seulement gouverné par les dieux, mais aussi par des esprits intermédiaires issus de l’histoire même de l’humanité.

Si l’on rapproche cette idée des anges dans la tradition juive ou islamique — créatures de lumière, messagers, gardiens —, ou encore des bodhisattvas dans le bouddhisme mahāyāna — êtres ayant renoncé à l’illumination finale pour guider les autres —, on retrouve un même schéma : l’idée que certains êtres supérieurs veillent sur le monde, nés d’une humanité transcendée, d’une vertu sublimée, d’un passé devenu ressource spirituelle.

Enfin, il faut souligner que ces daimones ne sont pas de simples spectateurs : ils ont une fonction éthique. Hésiode précise qu’ils observent les actes des hommes, veillent à la justice, et qu’ils sont « riches de faveurs », ce qui suggère qu’ils peuvent accorder ou refuser leur soutien. Ils forment une mémoire morale de l’univers, un tribunal invisible mais actif. À ce titre, ils rappellent également les Furies ou Érinyes, qui poursuivent les parjures, mais dans une version lumineuse et protectrice. Ils incarnent une éthique de la mémoire, où le passé — l’Âge d’or — ne disparaît pas mais devient critère d’évaluation du présent.

Ils symbolisent une vérité universelle : l’idée que le monde est traversé d’intelligences invisibles, nées de l’humain mais appelées à le dépasser, et que l’humanité conserve en elle la trace d’un âge divin — non pas comme une nostalgie stérile, mais comme une promesse de réconciliation entre l’être et le cosmos.

Les Anges gardiens

Les Génies protecteurs chez les Romains

Les Esprits des ancêtres 

Les bodhisattvas

L’Âge d’Argent

Après la perfection idyllique de l’âge d’or, s’ouvre une ère de régression : celle de l’âge d’argent. Ce basculement marque la perte progressive de l’harmonie cosmique. Si les hommes de cette génération sont toujours créés par les dieux, ils n’ont plus la même pureté que ceux du premier âge. Plus grands, plus beaux peut-être, mais aussi plus insoumis et moins sages, ils vivent une longue enfance de cent ans, sous la protection maternelle, dans une forme d’innocence prolongée. Mais une fois adultes, ils deviennent arrogants, violents, incapables d’honorer les dieux, notamment Zeus, dont ils remettent en cause l’autorité.

Zeus, irrité, décide d’anéantir cette race impie. Il les foudroie, et leur refuse tout avenir spirituel. Contrairement aux êtres de l’âge d’or devenus daïmones bienveillants, les hommes de l’âge d’argent ne sont pas élevés au rang de protecteurs.lls errent dans les limbes, ou sont absorbées par les profondeurs de l’Hadès. C’est un âge sans postérité sacrée, sans mémoire glorieuse. L’argent, métal de cet âge, brille sans égaler l’or.

Cet âge met en lumière l’entrée dans la temporalité dégradée : désormais, le rapport au divin ne va plus de soi. Il faut mériter la faveur des dieux. L’âge d’argent est celui de la rupture du pacte sacré originel, de l’émergence du libre arbitre, et donc du conflit moral. On y voit la première tension entre innocence et transgression, entre la nature divine de l’homme et sa propension à l’oubli de cette origine. Il marque aussi le commencement de la verticalité politique : Zeus devient véritablement roi, non par nature, mais par affirmation de sa puissance punitive.

Cette génération, à bien des égards, préfigure les thèmes fondamentaux de la chute dans d’autres traditions : le péché originel chrétien, le bannissement du paradis, la perte du Tao dans la pensée chinoise, ou encore le déclin des quatre yugas dans l’hindouisme, où l’on passe du Satya Yuga (ère de vérité) au Treta Yuga, marqué par le sacrifice, la perte de l’unité et la violence. L’âge d’argent, c’est le moment où l’homme commence à devenir un danger pour lui-même, où il s’éloigne de l’état cosmique pour entrer dans l’histoire.

L’Âge de Bronze (Airain)

Dans l’Âge de Bronze, les hommes ne sont plus des enfants des dieux, mais des créatures forgées dans la dureté de la terre. Hésiode dit qu’ils naquirent des frênes, arbres associés à la violence guerrière (on fabrique les lances en bois de frêne). Ces hommes sont robustes, puissants, mais aussi âpres, faits pour le combat. Ils ignorent la douceur, la musique, la justice : seule compte la force. Les hommes de l’âge de bronze vivent dans la colère. Ils forgent des armes, construisent des citadelles, et s’entretuent sans fin. Il n’y a ni lois, ni cités harmonieuses. La religion s’efface, le mythe recule. C’est un temps de vacarme, de fureur, de gloire cruelle. Les dieux ne sont plus honorés, et Zeus finit par exterminer cette humanité violente, devenue insupportable. Cette humanité est prodigieuse de force, mais sans âme durable. Elle ne laisse ni lois, ni poésie, ni héritage. On n’en garde que la rumeur. Ce sont des géants oubliés, engloutis par leur propre bruit. À leur mort, ils ne deviennent pas des esprits protecteurs, mais sont simplement effacés, comme si la divinité elle-même les avait reniés.

C’est aussi à cette époque que les hommes bâtissent les premières grandes forteresses de pierre, les murs cyclopéens de Tirynthe, Mycènes, ou Thèbes. Des blocs immenses, assemblés sans mortier, dans une logique de domination. La cité n’est plus une agora, mais un bastion. L’architecture devient un langage de la peur. Les hommes de l’Âge de Bronze annoncent les héros d’Homère, mais sans leur noblesse. Ils en ont la force, la rage, mais pas l’éthique ni la mémoire. Ils sont pré-héroïques, trop sauvages pour être chantés. C’est une humanité de transition, entre la pureté cosmique des origines et la grandeur tragique des héros. Zeus finit par éradiquer cette race. Certains disent qu’un feu l’a consumée, d’autres que le monde l’a absorbée dans le silence. Aucun monument, aucune stèle ne rappelle leur existence. Le bronze est une gloire vaine, sans lendemain.

Les hommes de l’Âge de Bronze, tels que décrits par Hésiode, possèdent, nous lavons dit une force surhumaine, brutale, sans mémoire ni vertu, qui évoque très directement les géants bibliques, les fameux Nephilim, ces êtres nés de l’union des “fils de Dieu” et des “filles des hommes” dans Genèse 6:1–4. Ces deux figures, païenne et hébraïque, bien qu’inscrites dans des cosmogonies différentes, témoignent d’une même hantise : celle d’une humanité débordante de puissance mais déficiente en spiritualité, condamnée à l’effacement. Les Nephilim, parfois traduits comme « géants » ou « titans », sont décrits comme des êtres puissants, redoutables, aux origines ambiguës. La tradition les présente comme les fruits d’une transgression cosmique, un mélange entre le céleste et l’humain, incompatible avec l’ordre voulu par Dieu. Leur apparition précède le Déluge : Dieu, voyant la corruption du monde et la violence des hommes, décide de le purifier par l’eau (Zeus par le feu, puisqu'ils sont nés du bois). Les hommes de l’Âge de Bronze, eux, naissent des frênes — non plus du divin directement — et vivent dans une époque de guerre perpétuelle. Ils sont trop forts, trop durs, trop vides de sens. Comme les Nephilim, ils ne transmettent aucun héritage éthique. Leur seule trace est une rumeur de force disparue. Leur disparition, chez Hésiode, se fait dans le fracas ou le silence ; chez les Hébreux, dans le Déluge.

Ces deux humanités se rejoignent donc dans une métaphysique de la chute par la force : elles symbolisent la tentation de la puissance brute, non régulée par le sacré, et la punition divine qui suit. Elles marquent une étape où l’homme se croit maître, mais oublie le logos, l’ordre, le sens.

L’Âge des Héros

L’Âge des Héros est l’unique moment du cycle où l’humanité semble échapper à sa propre chute. Ce n’est plus l’humanité divine de l’Âge d’or, ni l’humanité fautive de l’Argent ou barbare de l’Airain. C’est une humanité exemplaire par l’action, forgée dans la souffrance, mais encore digne de mémoire. Ces hommes ne naissent plus des arbres ni d’un âge enchanté : ils sont mortels, ou semi-divins, mais guidés par un idéal héroïque, parfois fils des dieux, et souvent habités par une grandeur tragique. C’est l’âge des grandes épopées : celle de Thèbes, celle de Troie. Les héros homériques, comme Achille, Ulysse, ou Ajax, incarnent une humanité prête à mourir pour la gloire, la justice ou la fidélité. Le monde est redevenu perméable aux dieux : Athéna guide, Poséidon foudroie, Apollon venge. Les dieux participent encore à la guerre des hommes, révélant un monde intermédiaire, où le ciel et la terre se parlent. Le destin (moira) plane sur chacun, imposant sa loi tout en laissant place à la liberté d’agir. On y perçoit déjà cette tension si grecque entre tragédie et responsabilité. Mais ce monde héroïque n’est pas un monde heureux. Il est saturé de sang, de pertes, de douleurs inévitables. Les héros sont mortels, ils aiment et ils souffrent. Leur grandeur ne réside pas dans l’éternité, mais dans l’acceptation de la mort comme scène de vérité. L’Âge des Héros, c’est l’âge où mourir est un destin noble. C’est peut-être le plus humain des âges, car il réunit la conscience tragique, la grandeur morale et la proximité du sacré.Hésiode ne condamne pas cet âge. Il en fait même l’éloge : certains de ces héros — ceux qui ne furent pas emportés à Troie ou Thèbes — vivent encore dans les îles des Bienheureux, réminiscence tardive de l’Âge d’or, où ils goûtent un repos mérité. Ainsi, cet âge agit comme une récupération partielle du divin dans le monde humain, un souvenir lumineux inséré dans un processus de déclin. L’Âge des Héros, contrairement aux précédents, n’est donc pas totalement détruit. Il laisse des traces, des noms, des chants. Il fonde la mémoire épique de l’Occident, celle qui place le courage, la vertu, la fidélité au-dessus de la simple survie. Il se referme cependant, marquant le passage à un âge plus sombre : celui des hommes de fer — les nôtres.

L’Âge de Fer

L’Âge de fer est l’époque présente dans le récit hésiodique. C’est un âge de labeur, de conflit et de désenchantement. Les hommes y vivent dans la peine, la guerre y est permanente, la justice y est bafouée, la piété se délite. L’âge de fer n’est pas simplement une époque matérielle – il ne renvoie pas à un progrès technique lié au fer – mais incarne une catastrophe ontologique : l’homme n’est plus aligné ni avec le ciel ni avec la terre.

Le travail n’a plus rien d’élevé. Il est peine, épuisement, nécessité nue. Contrairement à l’Âge d’argent où la nature résistait mais répondait encore, ici la nature est devenue étrangère. La terre ne donne plus sans être blessée. Les hommes doivent l’arracher à elle-même, dans un rapport de violence. La fracture entre l’homme et le cosmos est complète : le monde est devenu muet, et l’homme s’y débat sans fin.

C’est également l’âge de la fracture morale. L’autorité est corrompue, les liens familiaux se brisent, les enfants n’honorent plus leurs parents, les juges trahissent la justice. La Vérité (Alètheia) a quitté le monde. Il ne reste que le mensonge (Pseudos) et la dissimulation (Dolos). La parole n’élève plus : elle manipule. Même les dieux s’éloignent, comme s’ils ne reconnaissaient plus leur propre création.

Mais cet âge de fer a aussi quelque chose de radicalement moderne. Il annonce, bien avant Nietzsche, la mort du divin dans le monde, et avant Arendt, la banalité du mal : les injustices n’ont plus de dimension tragique, elles sont devenues ordinaires. Cet âge est celui où le divin ne parle plus — ou bien ment. Où la condition humaine n’est plus transfigurée, mais usée.

Et pourtant, c’est l’âge où le poète parle. Hésiode, depuis cet âge de fer, écrit. Et il écrit pour se souvenir, pour transmettre, pour sauver la mémoire des âges disparus. C’est dans cet âge, paradoxalement, que l’homme devient capable de lucidité, de retour sur soi, de critique. Le mythe hésiodique ne condamne pas : il avertit. Il trace une lignée, mais laisse ouverte une porte. L’âge de fer est peut-être celui où le mythe doit renaître, non comme souvenir, mais comme exigence spirituelle.

Cet âge n’est pas seulement une fin. Il est aussi le lieu du choix. Hésiode, comme les tragiques, nous place face à notre liberté. Car si l’homme est capable de tomber, il est aussi capable de se relever. L’âge de fer ne s’achèvera pas par décret divin, mais peut-être — s’il s’achève — par la reconquête de la sagesse perdue.

En bref

AGE

Age d'or

Âge d’Argent

Âge de Bronze

Âge des Héros

Âge de Fer

METAL

Or

Argent

Airain (Bronze)

Aucun

Fer

DIEU REGNENT

Cronos

Zeus (début de règne)

Zeus

Zeus + Dieux impliqués

Zeus lointain

CONDITONS

Harmonie, paix, immortalité spirituelle. Pas de travail ni de vieillesse.

Déclin moral. Les hommes vivent longtemps comme enfants puis meurent dans le conflit.

Hommes puissants, violents, guerriers. Sans lois ni compassion.

Noblesse, souffrance, grandeur tragique. Héros demi-dieux.

Douleur, injustice, travail forcé, haine, rupture sociale

RAPPORT AU DIVN

Fusion avec la nature divine, proximité cosmique

Rupture avec le divin. Ingratitude envers les dieux.

Les dieux s’éloignent. Début d’un monde profane.

Réconciliation partielle. Les dieux aident ou punissent.

Silence ou éloignement des dieux. Disparition du sacré dans le monde. Les dieux sont loin.

DESTIN DES ÂMES

Devenus daimones, génies protecteurs

Enfermement au Hadès

Disparus sans mémoire

Iles des Bienheureux (sélectionnés)

Corps à la terre, âmes errantes ou perdues, en Hadès.

SYMBOLIQUE

Éden, Satya Yuga (hindouisme), jardin primordial

Chute adamique, crise pubertaire de l’humanité

Civilisations disparues, Néphilim biblique, âge barbare

Épopées, Tragédie grecque, Bhagavad-Gîtâ

Modernité, Kali Yuga, monde profané

Ouverture : le mythe du déluge

Chez Ovide, l’épisode du déluge intervient immédiatement après la tentative d’impiété ultime du roi Lycaon, qui pousse l’hubris à son paroxysme en servant de la chair humaine à Zeus (Jupiter) pour éprouver sa divinité. L’acte de Lycaon, roi d’Arcadie, n’est pas seulement une transgression morale, il est une violation de l’ordre cosmique, un refus du pacte anthropo-divin. Jupiter, horrifié, détruit sa demeure par la foudre et le transforme en loup — d’où le lien étymologique entre lykos (le loup) et Lycaon. Cet acte devient le symptôme généralisé de la dégénérescence humaine. L’humanité, dit implicitement Ovide, est tombée en dessous de la bête.

Zeus décide alors de purger cette humanité fautive par un déluge universel, symbole d’une purification par l’eau — élément ambivalent, capable d’engendrer comme de détruire. Ce motif du déluge est récurrent dans de nombreuses traditions mythiques (Noé dans la Bible, Utnapishtim dans l’Épopée de Gilgamesh, Manu dans les Védas, Coxcox chez les Aztèques), et il incarne toujours un double geste : châtier la faute collective, mais aussi sauvegarder une semence élue, généralement un couple ou une famille vertueuse.

Chez Ovide, cette semence est représentée par Deucalion, fils du titan Prométhée, et Pyrrha, fille d’Épiméthée et de Pandore. Ce choix n’est pas anodin : il réunit le feu de l’intelligence (Prométhée) et la boîte des malheurs (Pandore), c’est-à-dire la lucidité et l’épreuve, la technique et le tragique. Autrement dit, l’humanité post-diluvienne naît d’un héritage double : la ruse et la douleur, la transgression et la responsabilité.Le Lycaon d’Ovide est donc une figure exemplaire de l’âge de fer chez Hésiode, et le déluge vient sceller cette chute morale. Ce qui fait d’Ovide, à travers son traitement du déluge, un continuateur poétique de la théogonie hésiodique, mais en lui insufflant une structure narrative dramatique plus moderne : montée, crise, anéantissement, et enfin, renaissance. Il y a donc deux âges du fer : une avant, et une après anthropophagie. 

Nous aurons l’occasion, dans un prochain épisode, d’approfondir plus amplement les mythes du déluge, en comparant les versions grecque, biblique et mésopotamienne, mais aussi de revenir sur la figure de Pandore, souvent réduite à tort à l’image d’une Ève fautive, et qui mérite une lecture bien plus nuancée, voire réhabilitée. Enfin, nous explorerons les autres récits de la naissance de l’humanité dans la mythologie grecque et au-delà, pour mieux saisir cette obsession ancienne d’un commencement, toujours recommencé.

Arcadie

Le mythe du déluge

Pandore

Terre pastorale et utopique, l’Arcadie est le rêve d’un âge d’or éternel, protégé du tumulte des cités. C’est là que vivent les bergers, les dryades, les satyres, dans une harmonie oubliée entre l’homme et la nature. Ce paradis perdu n’est pas un lieu réel, mais une nostalgie : celle d’un monde simple, innocent, où le divin se laisse encore approcher dans la lumière d’un matin calme.

Quand l’humanité sombra dans l’hubris et la violence, Zeus décida d’engloutir la terre sous les eaux. Seuls Deucalion et Pyrrha furent épargnés, guidés par Prométhée. Réfugiés sur une barque, ils dérivèrent jusqu’au sommet du Parnasse. Après le silence des pluies, ils refondèrent l’humanité en jetant des pierres derrière eux — les os de Gaïa. Ainsi naquirent des hommes pétris de terre et de mémoire.

Façonnée par les dieux, dotée de tous les charmes, Pandore fut offerte aux hommes avec une jarre mystérieuse. Poussée par la curiosité, elle l’ouvrit, libérant les maux de l’humanité : la maladie, la peine, la guerre. Mais au fond restait l’espérance. Ce mythe n’est pas celui d’une faute, mais celui d’un passage : celui par lequel les hommes accèdent à la condition tragique, mais humaine.

Un article écrit par Camille CHAPUIS, en ligne le 31 mai 2025

Bibliographie 

  1. Les Travaux et Les jours, par Hésiode, que l'on retrouve dans la section "Lectures".

  2. Les Métamorphoses d'Ovide, Livre 1, Deucalion et Pyrrah.