La Théogonie d'Hésiode
Traduction française de Thomas Gaisford en 1814 [Dans la traduction d'origine les noms sont ceux des dieux romains. J'ai choisi de reprendre la traduction et de proposer les divinités grecques qui sont souvent plus connues de nos contemporains). Vous trouverez un tableau d'équivalence. S'il vous manque un nom c'est alors que son équivalent romain est identique. Exemple : Thémis, Japet, etc.
DIEUX GRECS
DIEUX ROMAINS
DIEUX GRECS
DIEUX ROMAINS
Zeus
Jupiter
Héra
Junon
Athéna
Minerve
Apollon
Phébus
Artémis
Diane
Poséidon
Neptune
Aphrodite
Vénus
Eos
Aurore
Hélios
Sol(eil)
Séléné
Lun(a)
Gaïa
La Terre
Océnaos
Océan
Nyx
Nuit
Cronos
Saturne
Ouranos
Uranus
Charites
Les Grâces
Pontos
Pontus
Eros
Amour
Héméra
Le jour
Céos
Céus
Crios
Créus
Théia
Théa
Les Érinyes
Les Furies
Himéros
Désir
INTRODUCTION : Invocation des muses
Commençons par invoquer les Muses de l'Hélicon, les Muses qui, habitant cette grande et céleste montagne, dansent d'un pas léger autour de la noire fontaine et de l'autel du puissant fils de Cronos, et baignant leurs membres délicats dans les ondes du Permesse, de l'Hippocrène et du divin Olmius, forment sur la plus haute cime de l'Hélicon des choeurs admirables et gracieux. Lorsque le sol a frémi sous leurs pieds bondissants, dans leur pieuse ardeur, enveloppées d'un épais nuage, elles se promènent durant la nuit et font entendre leur belle voix en célébrant Zeus armé de l'égide, l'auguste Héra d'Argos, qui marche avec des brodequins d'or, la fille de Zeus, Athéna aux yeux bleus, Apollon, Artémis chasseresse, Poséidon, qui entoure et ébranle la terre, la vénérable Thémis , Aphrodite à la paupière noire, Hébé à la couronne d'or, la belle Dioné, Eos, le grand Hélios, la splendide Séléné, Léto, Japet, l’astucieux Cronos, Gaïa, le vaste Océanos et la ténébreuse Nyx, enfin la race sacrée de tous les autres dieux immortels. Jadis elles enseignèrent à Hésiode d'harmonieux accords, tandis qu'il faisait paître ses agneaux au pied du céleste Hélicon. Ces Muses de l'Olympe, ces filles de Zeus, maître de l'égide, m'adressèrent ce langage pour la première fois : "Vils pasteurs, opprobre des campagnes, vous qui ne vivez que pour l'intempérance, nous savons inventer beaucoup de mensonges semblables à la vérité ; mais nous savons aussi dire ce qui est vrai, quand tel est notre désir." Ainsi parlèrent les éloquentes filles du grand Zeus, et elles me remirent pour sceptre un rameau de vert laurier superbe à cueillir ; puis, m'inspirant un divin langage pour me faire chanter le passé et l'avenir, elles m'ordonnèrent de célébrer l'origine des bienheureux Immortels et de les choisir toujours elles-mêmes pour objet de mes premiers et de mes derniers chants.


Mais pourquoi m'arrêter ainsi autour du chêne ou du rocher ? Célébrons d'abord les Muses qui, dans l’Olympe, charment la grande âme de Zeus et marient leurs accords en chantant les choses passées, présentes et futures . Leur voix infatigable coule de leur bouche en doux accents, et cette harmonie enchanteresse, au loin répandue, fait sourire le palais de leur père qui lance la foudre. On entend résonner la cime de l’Olympe neigeux, demeure des Immortels. D'abord, épanchant leur voix divine, elles rappellent l'auguste origine des dieux engendrés par Gaïa et par le vaste Ouranos, et chantent leurs célestes enfants, auteurs de tous les biens. Ensuite, célébrant Zeus, ce père des dieux et des hommes, elles commencent et finissent par lui tous leurs hymnes et redisent combien il l'emporte sur les autres divinités par sa force et par sa puissance. Enfin, quand elles louent la race des mortels et des Géants vigoureux, elles réjouissent dans le ciel l'âme de Zeus, ces Muses de l'Olympe, filles du dieu qui porte l’égide. Dans la Piérie, Mnémosyne, qui régnait sur les collines d'Éleuthère, unie au fils de Cronos, mit au jour ces vierges qui procurent l’oubli des maux et la fin des douleurs. Durant neuf nuits, le prudent Zeus, montant sur son lit sacré, coucha près de Mnémosyne, loin de tous les Immortels. Après une année, les saisons et les mois ayant accompli leur cours et des jours nombreux étant révolus, Mnémosyne enfanta neuf filles animées du même esprit, sensibles au charme de la musique et portant dans leur poitrine un cœur exempt d'inquiétude ; elle les enfanta près du sommet élevé de ce neigeux Olympe où elles forment des choeurs brillants et possèdent des demeures magnifiques. À leurs côtés se tiennent les Charites et Himéros dans les festins, où leur bouche, épanchant une aimable harmonie, chante les lois de l’univers et les fonctions respectables des dieux. Fières de leurs belles voix et de leurs divins concerts, elles montèrent dans l'Olympe : la terre noire retentissait de leurs accords, et sous leurs pieds s'élevait un bruit ravissant tandis qu'elles marchaient vers l'auteur de leurs jours, ce roi du ciel, ce maître du tonnerre et de la brûlante foudre, qui, puissant vainqueur de son père Cronos, distribua équitablement à tous les dieux les emplois et les honneurs.
Voilà ce que chantaient les Muses, habitantes de l'Olympe, les neuf filles du grand Zeus, Clio, Euterpe, Thalie, Melpomène, Terpsichore, Érato, Polymnie, Uranie et Calliope, la plus puissante de toutes, car elle sert de compagne aux rois vénérables. Lorsque les filles du grand Zeus veulent honorer un de ces rois, nourrissons des cieux, dès qu'elles l'ont vu naître, elles versent sur sa langue une molle rosée, et les paroles découlent de sa bouche douces comme le miel. Tous les peuples le voient dispenser la justice avec droiture lorsqu'il apaise tout à coup un violent débat par la sagesse et l'habileté de son langage, car les rois sont doués de prudence afin que, sur la place publique, en proférant de pacifiques discours, ils fassent aisément restituer à leurs peuples tous les biens dont ils ont été insolemment dépouillés. Tandis que ce prince marche dans la ville, les citoyens, remplis d'un tendre respect, l'invoquent comme un dieu et il brille au milieu de la foule assemblée. Tel est le divin privilège que les Muses accordent aux mortels. Les Muses et Apollon, qui lance au loin ses traits, font naître sur la terre les chantres et les musiciens ; mais les rois viennent de Zeus. Heureux celui que les Muses chérissent ! un doux langage découle de ses lèvres. Si un mortel, l'âme déchirée par un récent malheur, s'afflige et se lamente, qu'un chantre, disciple des Muses, célèbre la gloire des premiers hommes et des bienheureux Immortels habitants de l'Olympe, aussitôt l'infortuné oublie ses chagrins ; il ne se souvient plus du sujet de ses maux et les présents des vierges divines l'ont bientôt distrait de sa douleur.

Salut, filles de Zeus, donnez-moi votre voix ravissante. Chantez la race sacrée des Immortels nés de Gaïa et d'Ouranos couronné d'étoiles, conçus par la ténébreuse Nyx ou nourris par l’amer Pontos. Dites comment naquirent les dieux, et la terre, et les fleuves, et l'immense Pontos aux flots bouillonnants, et les astres étincelants, et le vaste ciel qui les domine ; apprenez-moi quelles divinités, auteurs de tous les biens, leur durent l'existence ; comment cette céleste race, se partageant les richesses, se distribuant les honneurs, s'établit pour la première fois dans l’Olympe aux nombreux sommets. Muses habitantes de l'Olympe, révélez-moi l'origine du monde et remontez jusqu'au premier de tous les êtres.
Entre Chaos et Gaïa

Au commencement exista le Chaos, puis la Gaïa à la large poitrine, demeure toujours sûre de tous les Immortels qui habitent le faite de l'Olympe neigeux ; ensuite le sombre Tartare, placé sous les abîmes de l'immense Gaia ; enfin Eros, le plus beau des dieux, l'Amour, qui amollit les âmes, et, s'emparant du coeur de toutes les divinités et de tous les hommes, triomphe de leur sage volonté. Du Chaos sortirent l’Érèbe et Nyx l'obscure. L'Éther et Héméra naquirent de Nyx, qui les conçut en s'unissant d'amour avec l'Érèbe. Gaïa enfanta d'abord Ouranos couronné d'étoiles et le rendit son égal en grandeur afin qu'il la couvrît tout entière et qu'elle offrît aux bienheureux Immortels une demeure toujours tranquille ; elle créa les hautes montagnes, les gracieuses retraites des Nymphes divines qui habitent les monts aux gorges amples. Bientôt, sans goûter les charmes du plaisir, elle engendra Pontos, la stérile mer aux flots bouillonnants ; puis, s'unissant avec Ouranos, elle fit naître Océanos aux gouffres immenses, Céos, Crios, Hypérion, Japet, Théa, Thémis, Rhéa, Mnémosyne, Phébè à la couronne d'or et l’aimable Téthys. Le dernier et le plus terrible de ses enfants, l'astucieux Cronos, devint l'ennemi du florissant auteur de ses jours.
Gaïa enfanta aussi les Cyclopes au cœur superbe, Brontès, Stéropés et l'intrépide Argès, qui remirent son tonnerre à Jupiter et lui forgèrent sa foudre : tous les trois ressemblaient aux autres dieux, seulement ils n'avaient qu'un oeil au milieu du front et reçurent le surnom de Cyclopes, parce que cet oeil présentait une forme circulaire. Dans tous les travaux éclataient leur force et leur puissance.
Gaïa et Ouranos eurent encore trois fils grands et vigoureux, funestes à nommer, Cottos, Briarée et Gygès, race orgueilleuse et terrible ! Cent bras invincibles s'élançaient de leurs épaules et cinquante têtes attachées à leurs dos s'allongeaient au-dessus de leurs membres robustes. Leur force était immense, infatigable, proportionnée à leur haute stature.
Ces enfants, les plus redoutables de tous ceux qu'engendrèrent Gaïa et Ouranos, devinrent dès le commencement odieux à leur père. À mesure qu'ils naissaient, loin de leur laisser la lumière du jour, Ouranos les cachait dans les flancs de Gaïa et se réjouissait de cette action dénaturée. Gaïa immense gémissait, profondément attristée, lorsque enfin elle médita une cruelle et perfide vengeance. Dès qu'elle eut tiré de son sein l'acier éclatant de blancheur, elle fabriqua une grande faux, révéla son projet à ses enfants et, pour les encourager, leur dit, consumée de douleur : "Mes fils ! si vous voulez m'obéir, nous vengerons l'outrage que vous fait subir votre coupable père : car il est le premier auteur d'une action indigne." Elle dit. La crainte s'empara de tous ses enfants ; aucun n'osa répliquer. Enfin le grand et astucieux Cronos, ayant pris confiance, répondit à sa vénérable mère : "Ô ma mère! je promets d'accomplir notre vengeance, puisque je ne respecte plus un père trop fatal : car il est le premier auteur d'une action indigne." A ces mots, l'immense Gaïa ressentit une grande joie au fond de son coeur. Après avoir caché Cronos dans une embuscade, elle remit en ses mains la faux à la dent tranchante et lui expliqua sa ruse tout entière. Le grand Ouranos arriva, amenant Nyx, et animé du désir amoureux, il s'étendit sur Gaïa de toute sa longueur. Alors son fils, sorti de l'embuscade, le saisit de la main gauche, et de la droite, agitant la faux énorme, longue, acérée, il s'empressa de couper l'organe viril de son père et le rejeta derrière lui.


Ce ne fut pas vainement que cet organe tomba de sa main : toutes les gouttes de sang qui en découlèrent, Gaïa les recueillit, et les années étant révolues, elle produisit les redoutables Érinyes, les Géants monstrueux, chargés d'armes étincelantes et portant dans leurs mains d'énormes lances, enfin ces Nymphes qu'on appelle Mélies sur la terre immense. Cronos mutila de nouveau avec l'acier le membre qu'il avait coupé déjà et le lança du rivage dans les vagues agitées de Pontos : la mer le soutint longtemps, et de ce débris d'un corps immortel jaillit une blanche écume d'où naquit une jeune fille qui fut d'abord portée vers la divine Cythère (surnom d'Aphrodite, NDLR) et de là parvint jusqu'à Chypre entourée de flots. Bientôt, déesse ravissante de beauté, elle s'élança sur la rive, et le gazon fleurit sous ses pieds délicats. Les dieux et les hommes appellent cette divinité à la belle couronne Aphrodite, parce qu'elle fut nourrie de l'écume des mers ; Cythérée, parce qu'elle aborda Cythère, Cyprigénie, parce qu'elle naquit dans Chypre entourée de flots et Philomédée, parce que c'est d'un organe générateur qu'elle reçut la vie. Accompagnée d'Eros et du beau Himéros, le même jour de sa naissance, elle se rendit à la céleste assemblée. Dès l'origine, jouissant des honneurs divins, elle obtint du sort l'emploi de présider, parmi les hommes et les dieux immortels, aux entretiens des jeunes vierges, aux tendres sourires, aux innocents artifices, aux doux plaisirs, aux caresses de l'amour et de la volupté.
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