Le nationalisme hindou
Avant la décolonisation, avant Gandhi, avant même l’idée d’une Inde unie : il y eut un cri.
Non pas un cri de paix, mais celui d’un homme en exil, réclamant l’indépendance par la force. Ce cri portait un nom : Vinayak Damodar Savarkar.
Dans cet épisode, nous plongeons dans les origines troubles du nationalisme hindou — à travers la pensée fondatrice de l’Hindutva, cette idéologie territorialo-religieuse née avant l’Inde elle-même. Savarkar, entre révolte contre l’Empire britannique, rejet des religions « importées » et exaltation de la terre sacrée hindoue, a posé les bases d’un projet radical : faire de l’Inde non plus une nation, mais une foi.
Quelle est la part de spiritualité, et quelle est celle du pouvoir ? Comment une philosophie fondée sur le moksha peut-elle engendrer une politique d’exclusion ? Et surtout : pourquoi cette vision, presque centenaire, semble aujourd’hui plus vivace que jamais ?
🎙 Écoutez cet épisode et remontez aux racines brûlantes de l’Hindutva, entre mythe, histoire et politique.
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Un homme politique influent pendant le British Raj
Vinayak Damodar Savarkar, né en 1883 et mort en 1966, apparaît comme une personnalité politique forte du nationalisme indien du XXème siècle. Dès ses études universitaires de droit en 1906, il part pour Londres et fonde très rapidement la Free India Society. Ce mouvement politique étudiant indien souhaite instaurer, d’un côté l’indépendance de l’Inde, et de l’autre côté, logiquement, la fin du British Raj et l’influence britannique sur le territoire indien.
L’idéologie qui découle de ce parti politique assez jeune relève des pensées de Giuseppe Mazzini, patriote révolutionnaire italien du XIXème siècle. C’est par l’idéologie de l’unification italienne que l’auteur apparaît comme intéressant pour Vinayak Damodar Savarkar, qui prône une unification indienne contre l’Empire des Indes instauré par les Britanniques.
Adepte de l’Histoire des divers mouvements de rebellions indiens, il réanime la mémoire des 50 ans de la révolte des Cipayes du 10 mai 1857 en publiant, dès 1909, The Indian War of Independence. Au sein de cette révolution, la compagnie des Indes orientales voit son autorité mise en difficulté cette année-là en raison de la rumeur d’utilisation de graisse animale dans les cartouches d’armement.
Dans la religion hindoue, la vache étant vénérée, il est compréhensible de voir la mise à mal de l’unité militaire dans ce contexte. Ainsi, pas moins de 85 Cipayes sont condamnés, le 10 mai 1857, pour avoir refusé l’utilisation des cartouches mises en cause afin de montrer leur désaccord au nom de leur religion.
La peine des travaux forcés envenime la révolte dans la capitale moghole Delhi, qui plie sans combattre en septembre 1857. L’empereur moghole est même renversé et exécuté. L’« Honorable East Indian Company », en tant que régime de délégation, se fait abolir par la couronne britannique, marquant également la date du début du régime colonial en Inde.

Ainsi, on comprend facilement l’opposition franche aux Anglais de la part de Savarkar. Il mentionne, concernant son idéologie sur l’indépendance des Indes, « l’idéal de l’indépendance politique absolue, et la conviction que l'ultime et inévitable moyen de réaliser que l’idéal ne pouvait être autre qu’un national armant la révolte contre la domination étrangère. - étaient des concepts qui, à cette époque, étaient même au-delà l’horizon de la pensée et de l’action politique en Inde ». Dès lors, cette révolte aurait un fondement plus que politique, selon Savarkar : ces 50 ans de l’anniversaire de cette rébellion accentuent la nécessité de rompre avec les ingérences des grandes puissances. Il jouera par la suite un vrai rôle d’influence dans la politique indienne.
Un véritable rôle à jouer en politique dans l’Hindu Mahasabha

Membre leader de l’Hindu Mahasabha, un parti devenu « fantôme » depuis les années 70 au sein du Parlement indien, il fait partie des personnalités politiques contestées pour certains auteurs indiens, mais également considéré comme mal interprété par d’autres. Ce mouvement, des années 30 aux premières élections de l’indépendance de l’Inde, reflète une véritable rupture avec l’Empire britannique, puisqu’il devient le principal parti nationaliste hindou du pays.
Ce dernier reste tout de même totalement opposé à celui de Nehru, qui, lui, est dans la continuité de l’idéologie gandhienne, à savoir une indépendance basée sur le multiculturalisme du sécularisme indien. Au contraire, l’Hindu Mahasabha cherche à transformer le pays en Hindus’s Raj, pour reprendre la terminologie de la couronne britannique et de son British Raj.
Savarkar, devenant Président du Parti, est aujourd’hui remis en cause par beaucoup d’Indiens, soupçonné d’être à l’origine du meurtre de Gandhi, notamment pour une opposition forte du sort de l’Inde au lendemain du départ des Britanniques. Malgré tout, encore à l’heure actuelle, certains membres du Congrès le considèrent réellement comme un héros de l’indépendance de l’Inde, au même titre que les responsables de la désobéissance civile et de la marche du sel. Son influence reste donc très forte de nos jours, alors même que Narendra Modi poursuit un troisième mandat au Gouvernement indien.
L’origine de l’Hindutva : une idéologie au-delà de la religion hindoue
De cette influence, Savarkar réussit plus ou moins à propager ses idées lors de ses actions et lors des parutions de ses différents ouvrages. La plus connue est alors l’Hindutva. Ce serait en effet lui-même le penseur originel. L’idéologie nationaliste hindou demeure relativement plus vieille que l’Inde, elle-même, puisqu’elle émerge avant 1947, soit l’indépendance et la fin de la couronne britannique sur le territoire.
Dès 1923, au sein de son ouvrage, Essentials of Hindutva, rebaptisé ensuite Hindutva. Who is a Hindu?, Savarkar élabore une véritable pensée autour de deux notions :
- L’appartenance à un territoire ;
- L’appartenance à une religion :
Cette « double affiliation [...] unit tous ceux qui voient dans la terre indienne à la fois la patrie et la Terre sainte des hindous. La loyauté envers ces deux affiliations définit un nationalisme inséparable de l’hindutva, l’hindouïté, qui "embrasse tous les départements de la pensée et de l’activité de l’Être total qu’est notre race hindoue" ».


En d’autres termes, la religion hindou, au même titre que le bouddhisme, le sikhisme ou encore le jaïnisme, est née sur le territoire indien : elle est donc légitime d’être présente, d’être suivie, et surtout d’être accentuée dans les politiques publiques et stratégiques.
Elle peut s’affirmer auprès de la population, puisqu’il s’agit d’une croyance sacrée sur cette terre. En revanche, les religions monothéistes mondiales, le judaïsme, le christianisme et l’islam, sont plus considérées comme importées. Elles ont donc une légitimité moindre face à l’hindouisme, et cela se ressent sur les chiffres actuels. Dans la citation, on aborde même cette idée de détachement des ancêtres : on en porte le sang, mais on s’est détourné de leur idéologie maîtresse.
Il faut tout de même approfondir la vision de l’hindouisme nationaliste.
Le nationalisme hindou chercherait à instaurer une pensée spécifique de l’Inde autour du tejasvi hindu rashtra (ou plus précisément, la glorieuse nation hindoue). Comme évoqué, cette vision rassemble la religion et le territoire, cherchant ici à se propager « dans la vie sociale, publique et politique de ceux qui vivent dans le sous-continent indien ». Ainsi, il existe donc bien un comparatif à réaliser entre hindouisme et Hindutva : tandis que la religion hindoue souhaite développer l’unicité, l’Hindutva n’a pas pour vocation d’être purement spirituel et va au-delà, dans la sphère politique.
Les valeurs de l'hindouisme
Il semble donc intéressant de comprendre les valeurs de l’hindouisme pour appréhender pleinement cette comparaison. Cette religion met au centre de sa vision la vie (humaine, animale, mais également énergétique et matérielle) subordonnée par un Dieu suprême représentant l’esprit unique. Quatre concepts viennent ainsi se dégager de l’idéologie spirituelle dans une conception de karma, avec la responsabilité de sa destinée propre et de son libre choix de vie :
- L'anadi, l'absence d'un commencement;
- le karma, la loi morale de la vie;
- le samsâra, la renaissance;
- le moksha, la liberté ou la libération. Cette vision fondamentale du monde selon l'hindouisme postule un cycle de naissance, de mort et de renaissance, qui conduit le croyant au désir d'être libéré de ce cercle interminable de « souffrance », parce que vivre en ce monde signifie la souffrance d'être séparé du divin.
Ainsi, on remarque que les quatre concepts se basent sur l’individu en tant qu’être vivant, tout au long de sa vie, et ce, pour chacun dans les différents cycles de l’hindouisme. On reste donc dans une vision purement spirituelle aidant la personne à choisir sa vie de la meilleure des manières qui soit, afin qu’elle puisse prospérer dans un chemin droit. Par la mort, il existe également une conception de la vie : cette personne renaît dans un autre corps, en fonction du poids du karma atteint pendant sa vie précédente. Ainsi, une personne jugée néfaste se réincarnera en animal, connaissant ainsi seulement l’instinct et la souffrance, contrairement à l’être humain pourvu d’une réflexion et d’une conscience. Cela rentre donc dans une certaine vision manichéenne où le bien et le mal permettent plusieurs chemins de destinée.

En définitive, en regardant les différents éléments (très brefs) sus cités de la religion hindoue, on constate effectivement qu’il n’y a pas d’extension sur la vie publique : chacun semble libre de sa pensée, puisque le karma n’impacte que cet individu-même. Cela apparaît donc opposé à ce que propose l’Hindutva étudiée dans la sous-partie précédente : cette dernière prône plutôt une dualité territoire/religion afin de s’étendre définitivement et perpétuellement sur le sol indien.
Pour conclure, il s’agit de comprendre ici les débuts du nationalisme hindou : avant même la décolonisation, on aborde cette idéologie qui s’installe peu à peu pour mettre en place, dans la vision de Savarkar, une religion hindoue sur la terre sacrée de cette religion, en Inde. Cela mènera, par la suite, à la montée de groupes privés plus violents, poursuivant cette idée.
Un article écrit par Andréa LAQUET, en ligne le 24 mai 2025